Depuis l’annonce des résultats, les commentaires s’amoncellent et se limitent principalement à quelques remarques générales :
- une victoire des listes de gauche nette et majoritaire en France, comme dans notre région Centre
- une triple sanction des listes de droite, de la politique gouvernementale, du Président
- une montée du vote d’extrême-droite dont le score est élevé dans les zones rurales et les quartiers urbains populaires
- enfin une abstention record mettant bien à mal la démocratie et le rôle pourtant essentiel des Régions.
Or il convient dans de telles circonstances de réfléchir d'une part au message que les Français ont voulu délivrer, par leurs votes ou leurs abstentions et d'autre part à la signification de ce dernier à mi-parcours de la future échéance présidentielle et les élections législatives qui suivront.
Victoire de la Gauche ou sanction du Gouvernement? A regarder de plus près les chiffres des résultats, on pourrait s'accorder sur le double constatation que c’est bien plus une démobilisation de l’électorat de droite et une volonté de sanctionner la politique gouvernementale qui ont contribué à la victoire des listes de Gauche.
La Gauche a choisi d’ériger les Régions en contre-pouvoir et en bouclier social. Cet argumentaire est devenu le pilier de campagne et il a été entendu, dans un contexte de crise. Mais c’est aussi une victoire de projets régionaux de gauche qui ont su montrer dans ce contexte combien une action publique pouvait s’affirmer en terme de services aux populations. Les projets de gauche ont balayé la droite qui se repliait sur des thématiques certes essentielles au quotidien, comme l’emploi ou la sécurité, mais qui dans ce contexte de crise et d’inquiétude face à un Etat impuissant, n’ont pas su se traduire par un vote de confiance.
Mais si ériger les Régions en contre-pouvoir autant en stratégie que sur les projets face à la politique gouvernementale a pu convaincre, il n’en demeure pas moins que cette situation pose aujourd’hui à la Gauche un problème, celui de s’inscrire dans la durée comme force d’opposition uniquement crédible à l’échelon territorial en continuant à être victorieuse lors des échéances locales, comme ce fut le cas également lors des municipales et d’être minoritaires lors des échéances nationales qui se succèdent. Ainsi ce problème pourrait devenir demain un piège!
Le contexte de cette élection régionale version 2010 est un contexte de crise:
- crise économique et sociale, avec la remontée du chômage qui a passé la barre fatidique des 10%, mais surtout la précarisation qui est devenue préoccupante: la France compte plus de 8 millions de personnes pauvres, avec le constat que la situation des plus vulnérables s'est profondément dégradée selon un récent rapport de l‘observatoire de la pauvreté. C’est aussi la courbe démographique avec l’allongement de la durée de vie qui pose la question de la prise en charge de la dépendance, pour les familles avec la difficulté de s'occuper de leurs aînés dignement et en fonction de leurs besoins. C’est aussi la question du financement des retraites, personne ne nie l’enjeu de trouver une solution pour assurer la pérennité du système actuel, mais comment, par quels moyens? Et dans ce contexte, c’est aussi la gestion des chômeurs avec le service du Pôle Emploi qui a été restructuré en pleine période où ses services étaient déjà fortement sollicités rajoutant du trouble au trouble. Et aussi l’annonce de la cessation de fin de droits pour 800000 chômeurs sans que des perspectives soient dressées. Voila un contexte qui renforce le sentiment d’inquiétude voir de désespérance face à l’avenir dans les esprits de nos concitoyens. Voila autant d’indicateurs qui fondent le constat de désagrégation du lien social.
- crise démocratique, car avec une abstention et un score du FN aussi forts, c’est bien un acte de défiance, voir de rejet de près d’un français sur deux de l’action politique en général et des partis politiques traditionnels qui contribuent à la vie politique française mais aussi un coup porté aux Régions.
Cette campagne s’est déroulée dans un climat tendu, voir nauséabond, enchaînant polémiques et petites phrases, le tout déconnecté des vrais enjeux régionaux que sont l’éducation, l’emploi, l’aménagement du territoire, les transports. Certes la campagne s’est aussi voulue pédagogique mais la polémique et la déception ont pris le pas, laissant des électeurs désabusés préférant rester chez eux ou s’enfermer dans un vote extrême.
Le vote FN s’est particulièrement observé dans les zones rurales où on ne peut pas dire sérieusement qu’il y ait des problèmes d’insécurité qui font le terreau des idées extrêmes. En revanche, le sentiment d’insécurité face à l’avenir, d’abandon des territoires ruraux avec le recul des services de proximité, les mutations profondes du monde agricole, ont probablement généré ce vote de ras-le-bol et sanction. Dans les quartiers populaires, on retrouve cette même tendance. J’y vois là encore comme en zone rurale bien plus une demande de lien social et une nécessité de redonner du sens à l’action publique volontariste, certes réformée et exigeante mais utile à toutes celles et tous ceux, qui aux travers les âges, attendent que l’Etat soit utile, juste et autant exemplaire qu’il ne l’exige en retour des citoyens.
- Crise industrielle enfin, qui contribue à voir les chiffres du chômage exploser (500000 emplois perdus depuis 2000) accompagnés du lot quotidien de fermetures d’entreprises parfois installées sur nos territoires depuis des décennies. Malgré les déclarations de N.Sarkozy en pleine campagne sur l’enjeu de redonner à la France une politique industrielle, au-delà des paroles, ce sont les actes qui comptent, et les faits sont non seulement là mais ils sont surtout préoccupants aujourd‘hui.
Que l’industrie française subisse des mutations face à la mondialisation, que des adaptations de l’outil de travail et de production soient justifiées, c’est inéluctable, mais que la fuite de l’outil de production bénéficie non pas à des pays émergeant, mais à d’autres pays industrialisés comme notre voisine l’Allemagne, pose des questions sur la structure même de notre économie et sa capacité à résister dans les années qui viennent.
Elections sur fond de crise, il revient désormais aux responsables politiques d’en tirer les enseignements.
Ni triomphalisme d’un coté et ni déni de l’autre.
La gauche et le PS en particulier ont gagné dans les régions, reste à structurer une offre politique crédible nationalement en construisant les étapes nécessaires qui permettront de rédiger un projet utile à la France, rassembler toutes les forces et organiser des vraies primaires permettant aux concitoyens de pouvoir y participer de la manière la plus large.
Mais la crédibilité ne pourra se construire que si la Gauche, le PS en particulier, sait demain s’affirmer comme un axe tout autant réformateur, offrant une alternative crédible et des propositions concrètes au Gouvernement qui va continuer lui sur la voie des réformes, car c‘est sa «marque de fabrique » . Compte-tenu du contexte de crise économique, sociale, démocratique, industrielle, le PS doit plus que jamais se mettre au travail pour apporter des réponses pour changer la France et ne pas s’enfermer dans le piège de l’immobilisme et du résolument anti-sarkozisme qui ne constitue pas un projet en soi. Il n’est pas envisageable de rester dans le statut-quo actuel, à la fois avec un gouvernement qui s’inscrirait dans le camp du mouvement et de la réforme et un PS qui, parce que dans l’opposition, serait enfermé dans un camp connoté d’immobilisme et donc de conservatisme, un comble lorsqu’on veut « changer la société » (cf déclaration de principes du PS).
Reste aussi la question des alliances pour y parvenir, une question inévitable dès lors qu‘on prépare la future élection présidentielle qui se profile. En Région, les alliances à Gauche ont réussi à se constituer sans trop de difficulté sur des projets et des listes. Il reste 4 années de mandat au sein des régions pour démontrer que ces alliances ont du sens, de la cohérence et que l’unité primera sur les nuances réelles de chacune des composantes des majorités régionales.
Mais, ne nous leurrons pas, le très faible score du Modem en région Centre comme partout ailleurs a évité au PS de trancher aujourd’hui la question embarrassante de l’alliance avec une formation centriste, une question qui n’est que partie remise car si François Bayrou a raté sa stratégie, il n’en demeure pas moins qu’il existe en France un espace pour une formation politique au Centre et que l’ignorer peut être nuisible pour d’éventuelles conquêtes futures au niveau national. D’ailleurs, il est à noter que Ségolène Royal est la seule Présidente de Région sortante à avoir scellé une alliance avec le rassemblement politique le plus large, allant des forces de gauche aux centristes, en passant par le mouvement social. Initiative qui lui a valu d’être réélue avec un des meilleurs scores de tous les présidents sortants de gauche.
Pour cela il revient au PS de ne pas rater son futur Congrès comme il a échoué au précédent. Savoir se rassembler réellement, ce sera apprendre à respecter ses nuances internes comme celles et ceux qui contribuent à alimenter le débat. La phase des régionales et d’élaboration des listes a vu dans notre département une stratégie complètement contraire à cette nécessité impérieuse. Par delà mon éviction d’élue régionale sortante au profit d’un accord de duperie entre les autres courants rassemblés autour du 1er Fédéral, compte tenu des résultats observés et des 3 candidats qui se retrouvent aujourd’hui élus, c’est bien la confirmation que les représentants légitimes (ou non) du courant Royal se sont retrouvés exclus de cette élection, je pense à Tania André en particulier, ce qui conforte pleinement l’argumentation que j’avais développée au moment de la constitution des listes en tant que mandataire départementale. Le temps des explications viendra comme dans toute formation politique après une victoire comme une défaite, c’est utile, aujourd’hui l’heure est aux constats, en toute transparence, mais aussi aux félicitations et encouragements que j’apporte aux nouveaux conseillers régionaux de notre département .
Ni déni de l’autre côté de l‘échiquier politique.
Le message délivré par les français hier est clair, il interpelle le gouvernement sur la politique menée dans le passé mais aussi à venir. Dans le contexte de crise que subit la France, il lui reviendra de répondre à des questions fondamentales qui pèsent sur notre société. Quelle action d’envergure pour prendre à bras le corps la question de la la précarité galopante mais aussi de la dépendance? Quelle réforme à mener pour sauver notre système de retraite? Quelle modernisation nécessaire des services publics autrement que par la voie unique des suppressions de postes? Quelle attention portée aux territoires ruraux? Quelle politique fiscale alternative au bouclier fiscal? Quelle politique de l’emploi pour relancer notre politique industrielle?
Les réponses à y apporter transcendent même les clivages, tant la crise est profonde et les attentes nombreuses mais voila des sujets qui me semblent prioritaires. Le Gouvernement a du pain sur la planche mais la Gauche en a aussi pour y travailler et y contribuer.