16 décembre 2009

Un travail d'inventaire, un devoir de mémoire

Jeudi et vendredi le conseil régional du Centre réunira sa dernière session de la mandature, les échéances électorales étant prévue en mars prochain.

Dernière séance plénière avant le renouvellement de l'assemblée régionale, dernière séance pour l'élue sortante que je suis, l'occasion pour moi non pas de dresser ici un bilan de mandature collectif ou personnel, mais d'analyser avec le recul nécessaire le contexte dans lequel se déroulera cette session:
- une actualité riche sur fond de réforme des collectivités locales et de leurs ressources via la taxe professionnelle
- une ambiance de pré-campagne électorale avec les postures attendues des différents groupes politiques

Les deux étant liées avec un ordre du jour portant sur le vote du budget, un devoir d'inventaire et de mémoire me semblent utiles pour décrypter les clés d'une séance attendue.

Elue en mars 2004, je lançais un an après un blog, conçu comme un journal de bord ayant pour but de partager mon action de conseillère régionale, faire partager mes réflexions sur des sujets d'actualité et contribuer ainsi au débat, une contribution nécessaire pour tout responsable politique.



Un des premiers enjeux justifiant la mise en ligne de cet outil, c'était la question institutionnelle, la complexité d'un dispositif où les enchevetrements des collectivités rendaient bien peu lisible l'action qui allait être la mienne comme Conseillère régionale. L'édito toujours en ligne sur mon blog aujourd'hui stipulait « nos institutions de la 5e République sont en crise, il y a urgence à redonner un sens à l'action et à l'engagement politique et à ressouder les français avec celles et ceux qui les représentent à travers un mandat électif. Elue au Conseil Régional du Centre depuis 2004, je me rends compte que la Région et son action semblent bien opaques et complexes pour mes concitoyens. ».

En écrivant cela, je me situais dans la continuité de positions adoptées au sein du PS mettant en évidence l'urgence à ce que notre pays engage une réforme en profondeur de nos institutions à tous les échelons. Elue sur la liste PS aux élections régionales, au titre de la motion Pour un Nouveau Parti Socialiste présentée au Congrès de Dijon en 2003, la clarification des compétences des territoires était l'un des axes majeurs de la démarche que nous, responsables politiques, devions entreprendre. A ce sujet, le texte que j'avais signé stipulait que « la législation actuelle repose sur une fiction : celle des "blocs de compétences" que devaient respecter les communes, départements et régions. C'est le contraire qui en a résulté. Plus personne ne sait qui fait quoi, et les financements croisés ajoutent au brouillage des interventions. Tous les niveaux de gestion ont été conservés et d’autres ont été crées dans le cadre de l'intercommunalité. Les programmes européens ajoutent encore de l'opacité. »

Au point d'exprimer clairement que « L’objectif de fusion de plusieurs échelons territoriaux doit être posé et réglé dans le cadre de la nouvelle République. »

La nécessité de réfléchir à une nouvelle organisation des pouvoirs en France m'a conduit à rejoindre la Convention pour la 6e République et en décembre 2005 à créer son association départementale dans le Loir-et-Cher, aux côtés de Marc Gricourt et Jean-François Mortellette. L'ouvrage phare ayant servi de déclencheur à la création de la C6R est signé par son fondateur, Arnaud Montebourg. Au sujet du mille-feuille territorial, l'orientation y est très claire: « Ces évolutions importantes ne pourront pas s’épargner le choix courageux de supprimer les conseils généraux, ancien instrument d’oppression des territoires et de l’esprit local, devenu aujourd’hui un instrument de féodalisme budgétaire et politique local. » (La machine à trahir, 2002)

L'objectif de réformer nos institutions est devenue systématique dans tous les textes d'orientation présentés lors des congrès du PS qui ont suivi 2002, que ce soit au Mans en 2005 ou à Reims en 2008.

Au congrès du Mans où la motion soutenue par François Hollande arrive en tête, chacun s'accorde sur le constat d'une « crise démocratique profonde dans notre pays (abstention massive, montée des extrêmes, affaiblissement de la représentativité des partis de gouvernement) qui s’est traduite par une distance de plus en plus grande à l’égard des politiques et même de défiance à l’égard de la politique. Notre volonté est de faire évoluer les institutions vers une démocratie moderne basée sur la responsabilité de tous les acteurs, et la participation accrue des citoyens. »(1). Une nouvelle loi de décentralisation ayant été adoptée en 2004, avec de nouveaux transferts de compétences et des charges non compensées par l'Etat, il s'agit bien désormais d'insister sur la nécessaire clarification des compétences: « L’Etat se recentrera sur ses responsabilités, garantira que les transferts des compétences aux collectivités s’accompagnent vraiment des transferts financiers correspondants. La Région sera reconnue comme chef de file dans le domaine du développement économique, de l’aménagement du territoire et dans la formation professionnelle. Les structures de coopération intercommunales (EPCI) verront leurs compétences accrues dans les domaines liés aux grandes infrastructures, au transport, au logement et à la politique foncière. Les départements se verront confortés dans leur rôle de solidarité et de proximité ». (1).
Compte-tenu du déséquilibre important au sein des assemblées départementales résultant d'un découpage inégal entre les cantons ruraux et urbains, pour la première fois, il est évoqué le mode d'élection sans aller plus loin sur les modalités: « le mode d’élection des conseillers généraux sera modifié pour assurer une meilleure représentativité »(1).

L'intercommunalité aussi, dont le développement sur le territoire s'accompagne de compétences élargies, est aussi évoquée et se retrouve dans les congrès successifs avec la volonté affichée et partagée de rendre éligible au suffrage universel direct ces structures. Il s'agit bien là de rénover « La démocratie locale en désignant au suffrage universel les structures intercommunales » (1)

A Reims, la problématique de l'enchevetrement des collectivités locales est reprise, mais sous un nouvel angle : celui de l'efficacité et des problèmes de gestion que cela pose. Dans la motion que j'ai signée, et qui est arrivée en tête du vote des militants, nous y écrivons que « L’articulation des différents échelons de responsabilités est incohérente et la répartition des compétences manque de clarté, ce qui génère beaucoup de dépenses tout en freinant l’efficacité. » (2).
L'inefficacité du système actuel (manque de clarté dans les compétences, transferts de charges), appelle à une réforme en profondeur car la situation actuelle est jugée insatisfaisante pour les élus locaux : « Les collectivités locales subissent une décentralisation imparfaite car jacobine et pas assez volontariste. Les élus locaux sont tenus d’appliquer des lois et des décisions gouvernementales auxquelles ils n’ont pas été associés, sans avoir les moyens financiers, humains et techniques. Cette contradiction les renvoie à des difficultés quotidiennes souvent insurmontables. »(2). En ce sens nous proposons clairement de « Démêler le « mille-feuilles » de compétences entre les régions, conseils généraux, communes et intercommunalités. »(2).

Martine Aubry, devenue Premier Secrétaire du PS lors du Congrès de Reims, insiste dans son texte d'orientation sur « La nécessaire réorganisation territoriale devra faire l’objet d’un vrai débat national de refondation de la décentralisation, avec pour triple objectif de renforcer la proximité, de clarifier les compétences et d’assurer la responsabilité. »(3)

On le voit, congrès après congrès, nous avons posé l'enjeu de revoir notre organisation territoriale, jugée innapropriée, innadaptée et illisible, mettant en péril même la démocratie dans notre pays, en partageant le constat que les électeurs ne comprennent plus les processus de décisions locales, ne participent pas directement aux élections des intercommunalités et les lois successives de décentralisation initiées par la gauche appèlent à un grand débat afin de reposer les enjeux.
Cet inventaire fait, il est évident que la réforme étant actuellement lancée par le Gouvernement, il est de notre devoir en tant que responsables politiques, d'y participer, d'y contribuer, d'y apporter notre pierre et nos amendements.
L'assemblée régionale sera renouvelée en mars 2010, les nouveaux élus seront désignés pour quatre années seulement, au lieu des six auparavant, pour permettre la mise en oeuvre en 2014 de la nouvelle organisation territoriale en France.

Pour ma part, et compte tenu des extraits retrouvés au fil des textes proposés dans les orientations politiques que j'ai soutenues ou devenues majoritaires à l'issue des congrès, je considère bien volontiers que réformer est un acte nécessaire et un enjeu majeur pour notre démocratie. De scrutins en scrutins, les électeurs désertent malheureusement les bureaux de vote, pire encore ils disent ne plus s'y retrouver dans les méandres des institutions actuelles tellement elles sont enchevêtrées et complexifiées.
Je ne suis pas du tout opposée à l'idée de réformer nos institutions, de clarifier nos compétences et redonner une nouvelle forme de démocratie dans les lieux de décisions essentiels sur nos territoires. Certes ce projet de réforme comprend des avancées significatives mais certains aspects me posent un réel problème. Je me suis exprimée à ce sujet dans une tribune publiée au mois d'octobre dernier.



Deuxième aspect du contexte, il s'agit des finances et de la réforme de la Taxe professionnelle, alors que notre assemblée régionale va voter son budget.

Le gouvernement s’apprête à supprimer dans le cadre de la loi de Finances 2010, la taxe professionnelle acquittée par les entreprises. Ce projet de loi a entrainé un débat considérable dans le pays, à tous les échelons et au sein des associations d'élus, quelque soit la couleur politique. Un débat et des inquiétudes transversales en somme.

Il est évident que les collectivités qui réalisent 73% des investissements publics partagent toutes le meme objectif à savoir continuer à investir, avoir les moyens pour le faire et être autonomes dans leur processus de gestion.

Vaste sujet, depuis 25 ans, les gouvernements successifs constatent l'inefficacité de cette taxe : c’est en effet en 1983 que le président François Mitterrand avait jugé qu’il s’agissait là d’un « impôt imbécile ».

L'une des premières critiques de la Taxe Professionnelle était qu'elle pénalisait l’emploi. Ainsi, en 1999, le gouverment Jospin a supprimé la part des salaires incluse dans l’assiette de cet impôt entrainant un résultat peu encourageant : celui de pénaliser à juste titre notre tissu industriel car la taxe reposait sur les investissements matériels : terrains, bâtiments, machines… pendant que les entreprises de services, interim, elles, étaient encouragées.

La proposition de créer une « contribution économique territoriale » est fondée sur la valeur ajoutée des entreprises, c’est-à-dire pour l’essentiel la somme de leurs coûts salariaux et de l’amortissement de leurs investissements.

La réforme en soi de la Taxe Professionnelle est peu développée au cours des différents congrès, les textes étant assez généralistes. Pour autant, Martine Aubry fait le lien très clairement lors du dernier Congrès entre la nécessité de soutenir les territoires et la réforme de la fiscalité: « L’autonomie et la justice fiscale doivent aussi être restaurées : la taxe professionnelle, dont les réformes successives ont cassé sa dynamique conduisant à une véritable asphyxie financière, doit être remplacée par une cotisation assise sur la valeur ajoutée et la taxe d’habitation doit prendre en compte progressivement les revenus. », position reprise par la Fédération Nationale des Elus Socialistes et Républicains en février 2009 : « Les élus socialistes et républicains sont favorables à une réforme globale de la fiscalité locale , qu’ils considèrent effectivement comme injuste socialement et inefficace économiquement ; cela intègre des évolutions concernant la taxe professionnelle . »

Plus récemment, en juin 2009, dans un communiqué, le PS « s’élève avec force contre ce projet actuel injuste et dangereux mais considère, dans le même temps, que la réforme des finances locales est un impératif de justice, d’efficacité et de lisibilité démocratique. »




Réforme des collectivités locales, réforme de la fiscalité, deux sujets phares qui seront portés par les différents groupes politiques au sein de l'hémicyle régional avec inventaire à la clé, le constat évident que certaines des propositions ont été partagées dans nos propres orientations au fil des trois derniers congrès du PS.

Se pose alors la question de la posture et du rôle d'un parti politique. Doit-il se situer dans l'opposition systématique dès lors qu'il n'appartient pas à une majorité de décision ou bien doit-il contribuer au débat, s'opposer avec fermeté quand c'est nécessaire, apporter des contre-propositions et alimenter le réflexion, voir valider des orientations quand elles sont partagées?

Cette posture vaut pour l'engagement de toutes celles et tous ceux qui agissent dans toutes les sphères politiques, que ce soit au sein d'une instance départementale, régionale ou nationale. Dans la motion d'orientation du Congrès de Reims, nous écrivions que « Car c’est en regagnant l’hégémonie intellectuelle que nous gagnerons les nouvelles batailles politiques. Nous voulons que le Parti Socialiste redevienne le parti de la pensée.Une pensée que nous avons délaissée depuis trop longtemps et qui pourtant s’impose. A ne pas le faire, nous devenons conservateurs. A ne pas le faire, nous perdons notre capacité à dessiner des perspectives. A ne pas le faire, nous laissons des femmes et des hommes désabusés quant aux propositions que nous leur présentons. »(2)

Je considère pour ma part que la contribution au débat de tout responsable redonne la crédibilité à la Politique. Aujourd'hui, faute de lignes claires et de message audible, le paysage politique dessiné par une opposition socialiste trop souvent illisible et stérile rend le débat sur les grandes réformes actuelles parfois pauvre et sans ambition.
« A ne pas le faire, nous devenons conservateurs »... Pour ma part, et sans l'ombre d'un doute, je continue à m'inscrire dans le camp du progrès, de la proposition et ...de la pensée !


(1).Motion Hollande, Le Mans 2005
(2).Motion Collomb-Royal, Reims 2008
(3).Motion Aubry, Reims 2008

1 commentaire:

Gilbert Moreux a dit…

Merci Béatrice pour ce long texte de rappel à la mémoire.
Il mérite d'être largement diffusé. Il peut être la base d'une réflexion pour savoir comment les militants politiques envisagent leur action politique. Il peut être le point de départ à un questionnement de ceux qui ont signé des motions au cours du temps. Ceux qui ont choisi au dernier congrès de mener le combat conduit par Ségolène Royal, comment envisagent-ils leur combat d'aujourd'hui, en Loir et Cher, c'est à dire, là où ils peuvent avoir une prise directe sur les événements?
Nous avons été bernés par le premier secrétaire et autres comparses, ou plutôt, nous nous sommes laissés berner,peut-être que lui aussi d'ailleurs, mais pour d'autres raisons,par sa culture politique. Mais la vie continue et je pense qu'il nous faut manifester vigoureusement notre présence sur le terrain, non pas dans la crainte de diviser, puisque nous le sommes dans le parti, non pas dans la crainte de porter tort, puisque ce sont des pratiques en désaccord avec les positions annoncées qui nous portent ce tort, mais par une rupture dans la tradition du silence, ce qui nous obligera nous aussi, les membres de ce courant, à faire le bilan de nos erreurs, et à ce donner un objectif à la hauteur de nos ambitions, sachant que de nombreux sympathisants attendent de nous autre chose que le connu, qui les a éloignés du combat du PS.
Gilbert Moreux