10 avril 2006

L'absurdité économique du CPE par la presse libérale européenne

Avec Valérie RABAULT et Karine BERGER

La retranscription, par la presse française, d’articles publiés dans les journaux européens a souvent été caricaturale : « Paris brûle », « les Français sont incapables de réformer » (au motif qu’ils refusent le CPE !), « les Français ne comprennent pas que le monde a changé ». Mais à y regarder de plus près, on constate que le CPE n’a pas recueilli le soutien de la presse européenne - et en particulier de la presse économique – comme certains ont été tentés de nous le faire croire.

« Don’t go to Paris » titrait le tabloïd britannique The Sun, comparant l’insécurité de la capitale française à celle de Bagdad ! La presse française, tant écrite qu’audio-visuelle, a plus qu’abondamment relayé cet appel populiste pourtant très habituel chez le quotidien qui s’est fait une spécialité de croquer du « froggy ». A lire et écouter nos médias, cette « une » serait l’image exacte des inquiétudes et de l’incompréhension exprimées par les quotidiens étrangers vis-à-vis du mouvement social anti-cpe France.

Si notre pays est pointé du doigt par la presse étrangère, notamment depuis la crise des banlieues de novembre dernier, les critiques portent avant tout sur ses blocages politiques. Mais ne citer que ces échos, c’est faire l’impasse sur les nombreuses analyses économiques qui ont été publiées ces derniers jours dans la presse étrangère… et qui concluent pour beaucoup à l’absurdité du CPE, révélant au passage que les tentatives libérales de certains responsables de la droite française témoignent - à l’étranger -de leur incompréhension toujours notoire de la véritable fonction du libéralisme économique.

Tout d’abord, le Financial times, qui règne en maître sur la bien-pensée libérale de la City de Londres : le quotidien britannique dénonce par la voix d’un de ses éditorialistes vedettes, Wolfgang Munchau (FT du 26 mars 2006) l’absurdité économique du CPE. L’auteur indique ne pas connaître de justification académique à vouloir supprimer la sécurité du contrat de travail pour les jeunes, tout en la maintenant pour les autres. L’éditorialiste va même jusqu’à conclure « I would suspect that most labour market economists would be on the side of the students in this conflict » (« je soupçonne que, dans ce conflit, la plupart des économistes travaillant sur le marché du travail seraient du côté des étudiants »).

Encore mieux, The Economist : l’hebdomadaire libéral britannique auquel nul ne s’aventurerait à prêter des tentations de gauche et qui plaide depuis des années en faveur d’une flexibilisation du marché du travail en France, reconnaît, dans son édition du 16 mars, qu’il y a des objections au CPE et s’interroge : en quoi segmenter la société stimulerait-il la création d’emplois ?

Dans la Repubblica de janvier, puis fin mars dans un article publié sur le site lavoce.info, deux économistes italiens, Tito Boeri et Pietro Garibaldi s’inquiètent de l’évolution, tant en France qu’en Italie, du débat sur la réforme du marché du travail : « Il Cpe, (contratto di primo impiego) in particolare, è la quint’essenza della riforma marginale” dénoncent-ils. Ils rappellent qu’en France comme en Italie 50% des embauches de jeunes se font déjà sous la forme de contrats « flexibles » et qu’actuellement il n’y a aucune perspective à long terme après l’expiration d’un contrat temporaire. Ils craignent dès lors que le CPE ne conduise, après 2 ans, à la case chômage, faute de garantie de conversion en CDI.

Enfin, l’éditorialiste du quotidien berlinois Tagesspiegel publiait une tribune le 21 mars dernier titrée « l’Europe trahit sa jeunesse » dans laquelle il dénonçait l’injustice consistant à faire supporter aux seuls jeunes « les nécessaires corrections du système social ». « Sie wollen aber nicht auch noch Privilegien finanzieren, in deren Genuss sie selbst kaum mehr kommen werden» («ils ne veulent plus continuer à financer des privilèges dont ils bénificieront probablement à peine»).

Au total, le CPE nous a semblé susciter peu de soutien et de justification économiques de la part de la presse étrangère, même la plus libérale. Certes, la plupart des éditorialistes expliquent que face à l’ampleur du chômage en France, des réformes d’envergure seraient nécessaires, mais ils ne semblent pas voir dans le CPE le deus ex machina qui résoudrait le chômage des jeunes. Pour ces éditorialistes européens, il y aurait des difficultés à réformer en France, mais la presse française a oublié de rapporter qu’ils lient systématiquement ces difficultés à un manque de négociation, à un système qui fait que les réformes viennent du haut, et que dans le cas du CPE, elles n’ont pas même fait l’objet d’un débat parlementaire à la hauteur des enjeux posés. Bref, ils donnent une leçon de démocratie à notre République usée… et une leçon d’économie à ceux qui n’ont juré que par le CPE.

Article publié également sur le blog Rénover, maintenant et Sortir de l'impasse et prochainement dans La Lettre n°5 de Rénover, maintenant.

Photo publiée sur le site CBS News: source de l'image

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Un commentaire sur le CNE et le CPE

Une remise en cause progressive du Code du travail, lequel oblige à justifier un licenciement par un motif réel et sérieux et à utiliser une procédure simple mais respectueuse du salarié.

Le CNE (contrat nouvelles embauches) a été créé par l'ordonnance n°2005-893 du 2 août 2005 (en pleines vacances d'été). Equivalente à une loi, une ordonnance est prise par le pouvoir exécutif (gouvernement) qui se substitue au pouvoir législatif (parlement). Une procédure sans débats et sans vote de l'Assemblée nationale et du Sénat et donc contraire à la démocratie.

Le CNE comme le CPE suspendent pendant les deux premières années l'application du Code du travail en matière de licenciement (articles L. 122-4 à L. 122-11, L. 122-13 à L. 122-14-14 et L. 321-1 à L. 321-17).

Ces contrats permettent ainsi de licencier sans motif et de façon expéditive alors que le Code du travail oblige à justifier un licenciement par un motif réel et sérieux et à utiliser une procédure simple mais respectueuse du salarié.

Avec le CNE et le CPE, l'employeur peut licencier de façon arbitraire ou pour un motif illicite : demande de paiement d'heures supplémentaires, grève, opinions syndicales ou politiques, maladie, femme enceinte, aspects de la vie privée, refus du harcèlement, ...

A voir ici :
http://travail-chomage.site.voila.fr/droit/com_cne_cpe.htm

Voir aussi :
http://travail-chomage.site.voila.fr/index2.htm

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