par le groupe de travail RM éducation
À la suite des déclarations de Nicolas Sarkozy et de Ségolène Royal, la presse s’est emparée du thème de la carte scolaire. De nombreuses « tribunes libres » évoquent ce sujet et le mettent sur le devant de l’actualité scolaire en cette période de rentrée. Il serait pourtant abusif de croire que cette question est récente. Depuis de nombreuses années déjà de nombreuses personnes, spécialistes de l’éducation, élus locaux, parents d’élèves, enseignants...évoquent ce sujet. Le groupe « éducation » de Rénover maintenant rappelle les termes du débat et avance plusieurs propositions.
Pourquoi une carte scolaire ?
La carte scolaire a été créée dans les années soixante dans une logique d’aménagement du territoire, et à l’appui de la création des collèges (uniques) d’enseignement secondaire. L’objectif était d’identifier les zones géographiques au sein desquelles il fallait construire des écoles, des collèges et des lycées. En raison d’une démographie forte, les besoins étaient quantitativement très importants. Par souci de saine répartition et gestion de la ressource publique, il a donc été décidé de rendre ce découpage définitif et contraignant. Cette organisation territoriale des établissements scolaires oblige donc les parents à inscrire leurs enfants dans une école, un collège ou un lycée public bien précis.
À cette époque, les préoccupations de mixité sociale étaient déjà présentes, mais nettement moins prégnantes qu’aujourd’hui. Les quartiers « défavorisés » étaient moins nombreux, moins concentrés géographiquement. Au fil du temps, cette préoccupation de mixité sociale est devenue de plus en plus forte. Rappelons que cette valeur fondamentale de la gauche est indispensable au progrès social. Bien évidemment l’école ne peut assumer seule cette tâche : obligation d’un certain pourcentage de logements sociaux dans toute nouvelle construction, désenclavement des quartiers dits « sensibles », amélioration des transports urbains, développement économique et commercial des zones sensibles, aides aux familles en difficulté, lutte contre les phénomènes de ghettos et le communautarisme... sont à titre d’exemples des actions indispensables, complémentaires de l’école, susceptibles d’améliorer la situation grâce à la mixité sociale.
Pourquoi la carte actuelle n’est-elle pas satisfaisante ?
De nombreuses critiques ont été émises contre cette organisation.
Disons le tout net, sur une grande partie du territoire national, la carte scolaire ne pose pas de problème particulier. L’équilibre atteint, principalement dans les zones rurales ou de faible densité urbaine, est satisfaisant. Le nombre de parents qui inscrivent leurs enfants dans un autre établissement que celui qui leur est normalement attribué y est faible (inférieur à 10 %). Dans certaines régions, le recours à l’enseignement privé, généralement confessionnel, trouve ses racines dans une culture, une tradition, là où l’enseignement catholique est fortement enraciné. La carte scolaire n’y est pour rien. Rappelons que ces établissements privés, même sous contrat d’association et donc financés par les fonds publics, ne sont pas concernés par cette sectorisation.
La première des critiques vient naturellement de la frange la plus réactionnaire de nos concitoyens. Ces « libéraux » allergiques pathétiques et méprisants patentés à l’égard de tous ceux dont la réussite sociale, qui se confond dans leur esprit avec la réussite économique, n’est pas jugée à leur hauteur, y voient une entrave intolérable à la liberté. Comme si la vie sociale pouvait se réduire à la somme des libertés individuelles ! Il est vrai que, pour eux, poser la question de la mixité sociale, c’est envisager que leurs propres enfants puissent un jour fréquenter des élèves de basse caste. Intolérable !
Plus sérieusement, les critiques ou pour le moins les questions viennent également de parents, d’élus locaux ou de responsables de l’éducation confrontés à des phénomènes nouveaux et dangereux pour la cohésion sociale. En effet, dans la majorité des grandes villes, là où des phénomènes de ghettoïsation sont apparus et où certains quartiers concentrent à la fois les difficultés économiques, sociales, culturelles et donc scolaires et de déficit en équipements périscolaires et extrascolaires, la carte scolaire fonctionne « à l’envers ». De façon paradoxale, elle concentre les élèves issus des milieux les plus défavorisés sur un nombre réduit d’écoles ou de collèges. En effet, dans ces zones, les manœuvres de contournement de la carte sont particulièrement nombreuses. Le pourcentage de parents qui tentent d’inscrire leur enfant ailleurs que dans l’établissement d’affectation dépasse souvent les 50%. Évidemment seuls les « initiés » ou les nantis sont en mesure de le faire : par le jeu des options, d’adresse fictive ou bien réelle, de passe droit ou de relations privilégiées, fils et filles de catégories sociales et professionnelles dites « supérieures » trouvent ainsi le moyen de s’inscrire dans d’autres établissements, réputés meilleurs ou plus calmes. Car à l’évidence, ce n’est pas le manutentionnaire de Mantes la Jolie ou la femme de ménage de Clichy sous Bois qui pourra louer ne serait-ce qu’une chambre de bonne dans la 5ème arrondissement de Paris pour faire inscrire sa fille à Louis le Grand. Il en résulte une accélération des déséquilibres scolaires dans les établissements concernés et des difficultés croissantes d’enseignement. C’est la spirale infernale, aggravée par l’autre forme importante de contournement de la carte scolaire que représente le recours à l’enseignement privé (même par les familles de conditions modestes).
Notons par ailleurs que dans les très grandes villes, Paris notamment, les pratiques de contournement touchent pratiquement tous les établissements, sauf bien évidemment les plus réputés d’entre eux. Une hiérarchie informelle et non fondée (il suffit pour s’en convaincre de regarder les résultats au baccalauréat) s’est progressivement installée et conduit certains parents à rechercher « toujours plus ». Comme si Henri IV ou Fénelon étaient pour eux le seul objectif.
Faut-il purement et simplement supprimer la carte scolaire ?
Même en investissant massivement dans les établissements « à problème », cette solution pourrait se révéler à très court terme catastrophique pour l’ensemble du système éducatif et contre-productif par rapport aux objectifs d’une politique de gauche. Lorsque Ségolène Royal affirme que l’idéal serait de pouvoir la supprimer, elle ne fait qu’espérer une situation sociale idyllique dans laquelle effectivement la mixité sociale réelle et l’homogénéité des conditions d’éducation (au sens large) rendraient inutile une telle mesure. Un rêve que nous partageons tous. La réalité est hélas plus brutale et c’est pour cela qu’elle propose un aménagement.
Supprimer aujourd’hui la carte scolaire entraînerait des dégâts considérables non seulement au sein du système scolaire mais également au sein des villes et quartiers concernés. Cette mesure entraînerait immédiatement des déséquilibres pour l’ensemble des établissements. L’afflux d’élèves au sein des écoles ou collèges « réputés », avec en corollaire l’obligation d’instaurer rapidement un numerus clausus (sur quels critères ? contrôlé par qui ?), modifierait sensiblement les conditions d’éducation : augmentation du nombre d’élèves par classe, dégradation des conditions de travail des élèves et des enseignants... Les transports scolaires (dessertes et tarifications), la restauration ainsi que toutes les activités périscolaires seraient profondément désorganisés. Comment pourrait-on gérer les fluctuations d’effectifs d’une année sur l’autre, sous l’effet notamment du consumérisme scolaire qui tend aujourd’hui à se développer ? De façon symétrique, les établissements les moins bien lotis verraient leur situation se dégrader rapidement : fuite accélérée des élèves, repli communautaire, difficultés accrues d’enseignement... jusqu’à mettre en cause rapidement leur survie. Et ceci sans évoquer les problèmes de gestion des moyens en personnel enseignant et non enseignant, et de gestion voire de construction des bâtiments ainsi que, on l’a dit, de gestion des transports et de la restauration scolaires... Toutes les collectivités locales seraient durablement affectées par cette mesure irréaliste.
La question n’est donc pas « pour ou contre la carte scolaire ? » mais « quelle carte scolaire ? ».
Quelles solutions pourrait-on mettre en œuvre ?
1. Remodeler profondément la carte scolaire pour tenir compte des nouvelles données démographiques, économiques et sociales...
Les secteurs scolaires devraient être redécoupés et élargis afin d’offrir au sein d’un même espace plusieurs possibilités, dont les établissements privés sous contrat d’association.
Ce redécoupage serait réalisé en étroite concertation entre tous les acteurs : élus des différentes collectivités territoriales, représentants des parents, représentants des enseignants, représentants de l’État, représentants des différents organismes et associations intervenant dans le périscolaire.... Il prendrait en compte tous les paramètres : CSP des familles, dynamique démographique, capacités d’accueil et accessibilité des établissements, projet pédagogique de chaque établissement, carte des options, plan régional de développement des formations...
2. Introduire la transparence dans l’affectation des élèves
L’affectation des élèves, à partir de vœux formulés par les parents, s’effectuerait au niveau départemental par une commission « ad hoc » placée sous l’autorité du représentant de l’État, le directeur des services départementaux de l’éducation nationale.
Cette commission, composée de représentants des parents, des collectivités territoriales, des établissements scolaires, des associations..., travaillerait selon des procédures définies au niveau national et connues de tous. Elle serait désormais seule à pouvoir décider de telle ou telle affectation, y compris pour les enfants vivant avec en handicap. Les procédures de contournement - mais aussi de déscolarisation de fait - seraient ainsi très largement limitées tandis que le choix laissé aux parents serait élargi.
3. Investir massivement dans les établissements sensibles et sur leur environnement éducatif tout en recherchant l’individualisation maximale des aides aux élèves en difficulté
Cette proposition de redéfinition de la carte scolaire n’a de sens que si une politique déterminée de lutte contre toute forme d’exclusion scolaire et ghettoïsation est mise en place. L’éducation prioritaire, dans ses principes actuels fondée davantage sur la géographie des quartiers que sur les besoins individuels, devrait être profondément remaniée. Pour éviter les effets pervers d’une stigmatisation de tel ou tel collège, de telle ou telle école, il faut dans un premier temps tout faire pour éviter les trop fortes concentrations d’élèves en situation difficile, qu’elles qu’en soient les raisons. La nouvelle commission d’affectation proposée devrait y remédier.
Mais il faudra également prévoir pour certains établissements des actions fortes dans tous les domaines (bâtiments, personnels non enseignants, enseignants, projet pédagogique, ouverture sur l’environnement...) qui ne se résument pas à un simple saupoudrage de moyens pédagogiques supplémentaires dont le seul effet (certes important mais à l’impact limité) est la (faible) diminution du nombre d’élèves par classe. Octroyer la possibilité de mettre en place des projets pédagogiques spécifiques dérogeant aux recommandations nationales, affecter des moyens humains et financiers pérennes et spécifiques sur la base des projets d’établissement et des besoins propres à chaque établissement, discuter des projets pédagogiques avec l’ensemble des acteurs de l’aide sociale aux élèves et familles en difficulté de façon à coordonner les différentes actions, y compris avec les secteurs périscolaires, culturels, sportifs... sont quelques pistes à explorer.
Cependant, l’éducation prioritaire doit résolument s’engager dans la voie de l’individualisation, en la distinguant bien de la culpabilisation et de la stigmatisation des élèves et des familles en difficulté. C’est en apportant des solutions fondées sur une étude individuelle des besoins que l’action est la plus efficace. En concentrant les moyens vers celles et ceux qui en ont réellement besoin, il est nettement plus facile de faire évoluer un dispositif, de coordonner toutes les actions et d’évaluer les résultats.
4. Redéfinir la carte des options pour offrir à tous les secteurs redécoupés les mêmes opportunités
Une des principales injustices de la carte scolaire actuelle est le déséquilibre dans l’offre de formation entre les établissements scolaires. Par le jeu des options, certains établissements (collèges mais surtout lycées) se lancent dans une chasse indigne aux « bons élèves », amplifiant ainsi volontairement les phénomènes de contournement. Pourquoi les langues orientales, les classes européennes (à titre d’exemple) ne pourraient-elles pas être proposées également aux élèves issus de milieux défavorisés ? La question de l’uniformisation de la carte des options pour tous les collèges est dès lors posée. Pour les lycées, la gestion des options doit être clarifiée et abordée là encore dans une plus grande transparence, en veillant aux équilibres entre établissements.
La question de la carte scolaire ne peut être réglée par des réponses lapidaires. Ce n’est pas un « problème » uniquement d’éducation nationale. Elle renvoie à des sujets beaucoup plus vastes comme l’aménagement du territoire, la politique de la ville, la politique sociale, le projet éducatif local (intégrant l’accueil de la petite enfance en amont et l’orientation en aval)... Tous les acteurs concernés par ces différents domaines doivent être mis à contribution et ce n’est que dans le cadre d’une vaste concertation, nationale et locale, que l’on pourra faire émerger les solutions consensuelles susceptibles de résoudre les graves difficultés qui raisonnent (résonnent ?) dans l’ensemble du système éducatif.
Pourquoi une carte scolaire ?
La carte scolaire a été créée dans les années soixante dans une logique d’aménagement du territoire, et à l’appui de la création des collèges (uniques) d’enseignement secondaire. L’objectif était d’identifier les zones géographiques au sein desquelles il fallait construire des écoles, des collèges et des lycées. En raison d’une démographie forte, les besoins étaient quantitativement très importants. Par souci de saine répartition et gestion de la ressource publique, il a donc été décidé de rendre ce découpage définitif et contraignant. Cette organisation territoriale des établissements scolaires oblige donc les parents à inscrire leurs enfants dans une école, un collège ou un lycée public bien précis.
À cette époque, les préoccupations de mixité sociale étaient déjà présentes, mais nettement moins prégnantes qu’aujourd’hui. Les quartiers « défavorisés » étaient moins nombreux, moins concentrés géographiquement. Au fil du temps, cette préoccupation de mixité sociale est devenue de plus en plus forte. Rappelons que cette valeur fondamentale de la gauche est indispensable au progrès social. Bien évidemment l’école ne peut assumer seule cette tâche : obligation d’un certain pourcentage de logements sociaux dans toute nouvelle construction, désenclavement des quartiers dits « sensibles », amélioration des transports urbains, développement économique et commercial des zones sensibles, aides aux familles en difficulté, lutte contre les phénomènes de ghettos et le communautarisme... sont à titre d’exemples des actions indispensables, complémentaires de l’école, susceptibles d’améliorer la situation grâce à la mixité sociale.
Pourquoi la carte actuelle n’est-elle pas satisfaisante ?
De nombreuses critiques ont été émises contre cette organisation.
Disons le tout net, sur une grande partie du territoire national, la carte scolaire ne pose pas de problème particulier. L’équilibre atteint, principalement dans les zones rurales ou de faible densité urbaine, est satisfaisant. Le nombre de parents qui inscrivent leurs enfants dans un autre établissement que celui qui leur est normalement attribué y est faible (inférieur à 10 %). Dans certaines régions, le recours à l’enseignement privé, généralement confessionnel, trouve ses racines dans une culture, une tradition, là où l’enseignement catholique est fortement enraciné. La carte scolaire n’y est pour rien. Rappelons que ces établissements privés, même sous contrat d’association et donc financés par les fonds publics, ne sont pas concernés par cette sectorisation.
La première des critiques vient naturellement de la frange la plus réactionnaire de nos concitoyens. Ces « libéraux » allergiques pathétiques et méprisants patentés à l’égard de tous ceux dont la réussite sociale, qui se confond dans leur esprit avec la réussite économique, n’est pas jugée à leur hauteur, y voient une entrave intolérable à la liberté. Comme si la vie sociale pouvait se réduire à la somme des libertés individuelles ! Il est vrai que, pour eux, poser la question de la mixité sociale, c’est envisager que leurs propres enfants puissent un jour fréquenter des élèves de basse caste. Intolérable !
Plus sérieusement, les critiques ou pour le moins les questions viennent également de parents, d’élus locaux ou de responsables de l’éducation confrontés à des phénomènes nouveaux et dangereux pour la cohésion sociale. En effet, dans la majorité des grandes villes, là où des phénomènes de ghettoïsation sont apparus et où certains quartiers concentrent à la fois les difficultés économiques, sociales, culturelles et donc scolaires et de déficit en équipements périscolaires et extrascolaires, la carte scolaire fonctionne « à l’envers ». De façon paradoxale, elle concentre les élèves issus des milieux les plus défavorisés sur un nombre réduit d’écoles ou de collèges. En effet, dans ces zones, les manœuvres de contournement de la carte sont particulièrement nombreuses. Le pourcentage de parents qui tentent d’inscrire leur enfant ailleurs que dans l’établissement d’affectation dépasse souvent les 50%. Évidemment seuls les « initiés » ou les nantis sont en mesure de le faire : par le jeu des options, d’adresse fictive ou bien réelle, de passe droit ou de relations privilégiées, fils et filles de catégories sociales et professionnelles dites « supérieures » trouvent ainsi le moyen de s’inscrire dans d’autres établissements, réputés meilleurs ou plus calmes. Car à l’évidence, ce n’est pas le manutentionnaire de Mantes la Jolie ou la femme de ménage de Clichy sous Bois qui pourra louer ne serait-ce qu’une chambre de bonne dans la 5ème arrondissement de Paris pour faire inscrire sa fille à Louis le Grand. Il en résulte une accélération des déséquilibres scolaires dans les établissements concernés et des difficultés croissantes d’enseignement. C’est la spirale infernale, aggravée par l’autre forme importante de contournement de la carte scolaire que représente le recours à l’enseignement privé (même par les familles de conditions modestes).
Notons par ailleurs que dans les très grandes villes, Paris notamment, les pratiques de contournement touchent pratiquement tous les établissements, sauf bien évidemment les plus réputés d’entre eux. Une hiérarchie informelle et non fondée (il suffit pour s’en convaincre de regarder les résultats au baccalauréat) s’est progressivement installée et conduit certains parents à rechercher « toujours plus ». Comme si Henri IV ou Fénelon étaient pour eux le seul objectif.
Faut-il purement et simplement supprimer la carte scolaire ?
Même en investissant massivement dans les établissements « à problème », cette solution pourrait se révéler à très court terme catastrophique pour l’ensemble du système éducatif et contre-productif par rapport aux objectifs d’une politique de gauche. Lorsque Ségolène Royal affirme que l’idéal serait de pouvoir la supprimer, elle ne fait qu’espérer une situation sociale idyllique dans laquelle effectivement la mixité sociale réelle et l’homogénéité des conditions d’éducation (au sens large) rendraient inutile une telle mesure. Un rêve que nous partageons tous. La réalité est hélas plus brutale et c’est pour cela qu’elle propose un aménagement.
Supprimer aujourd’hui la carte scolaire entraînerait des dégâts considérables non seulement au sein du système scolaire mais également au sein des villes et quartiers concernés. Cette mesure entraînerait immédiatement des déséquilibres pour l’ensemble des établissements. L’afflux d’élèves au sein des écoles ou collèges « réputés », avec en corollaire l’obligation d’instaurer rapidement un numerus clausus (sur quels critères ? contrôlé par qui ?), modifierait sensiblement les conditions d’éducation : augmentation du nombre d’élèves par classe, dégradation des conditions de travail des élèves et des enseignants... Les transports scolaires (dessertes et tarifications), la restauration ainsi que toutes les activités périscolaires seraient profondément désorganisés. Comment pourrait-on gérer les fluctuations d’effectifs d’une année sur l’autre, sous l’effet notamment du consumérisme scolaire qui tend aujourd’hui à se développer ? De façon symétrique, les établissements les moins bien lotis verraient leur situation se dégrader rapidement : fuite accélérée des élèves, repli communautaire, difficultés accrues d’enseignement... jusqu’à mettre en cause rapidement leur survie. Et ceci sans évoquer les problèmes de gestion des moyens en personnel enseignant et non enseignant, et de gestion voire de construction des bâtiments ainsi que, on l’a dit, de gestion des transports et de la restauration scolaires... Toutes les collectivités locales seraient durablement affectées par cette mesure irréaliste.
La question n’est donc pas « pour ou contre la carte scolaire ? » mais « quelle carte scolaire ? ».
Quelles solutions pourrait-on mettre en œuvre ?
1. Remodeler profondément la carte scolaire pour tenir compte des nouvelles données démographiques, économiques et sociales...
Les secteurs scolaires devraient être redécoupés et élargis afin d’offrir au sein d’un même espace plusieurs possibilités, dont les établissements privés sous contrat d’association.
Ce redécoupage serait réalisé en étroite concertation entre tous les acteurs : élus des différentes collectivités territoriales, représentants des parents, représentants des enseignants, représentants de l’État, représentants des différents organismes et associations intervenant dans le périscolaire.... Il prendrait en compte tous les paramètres : CSP des familles, dynamique démographique, capacités d’accueil et accessibilité des établissements, projet pédagogique de chaque établissement, carte des options, plan régional de développement des formations...
2. Introduire la transparence dans l’affectation des élèves
L’affectation des élèves, à partir de vœux formulés par les parents, s’effectuerait au niveau départemental par une commission « ad hoc » placée sous l’autorité du représentant de l’État, le directeur des services départementaux de l’éducation nationale.
Cette commission, composée de représentants des parents, des collectivités territoriales, des établissements scolaires, des associations..., travaillerait selon des procédures définies au niveau national et connues de tous. Elle serait désormais seule à pouvoir décider de telle ou telle affectation, y compris pour les enfants vivant avec en handicap. Les procédures de contournement - mais aussi de déscolarisation de fait - seraient ainsi très largement limitées tandis que le choix laissé aux parents serait élargi.
3. Investir massivement dans les établissements sensibles et sur leur environnement éducatif tout en recherchant l’individualisation maximale des aides aux élèves en difficulté
Cette proposition de redéfinition de la carte scolaire n’a de sens que si une politique déterminée de lutte contre toute forme d’exclusion scolaire et ghettoïsation est mise en place. L’éducation prioritaire, dans ses principes actuels fondée davantage sur la géographie des quartiers que sur les besoins individuels, devrait être profondément remaniée. Pour éviter les effets pervers d’une stigmatisation de tel ou tel collège, de telle ou telle école, il faut dans un premier temps tout faire pour éviter les trop fortes concentrations d’élèves en situation difficile, qu’elles qu’en soient les raisons. La nouvelle commission d’affectation proposée devrait y remédier.
Mais il faudra également prévoir pour certains établissements des actions fortes dans tous les domaines (bâtiments, personnels non enseignants, enseignants, projet pédagogique, ouverture sur l’environnement...) qui ne se résument pas à un simple saupoudrage de moyens pédagogiques supplémentaires dont le seul effet (certes important mais à l’impact limité) est la (faible) diminution du nombre d’élèves par classe. Octroyer la possibilité de mettre en place des projets pédagogiques spécifiques dérogeant aux recommandations nationales, affecter des moyens humains et financiers pérennes et spécifiques sur la base des projets d’établissement et des besoins propres à chaque établissement, discuter des projets pédagogiques avec l’ensemble des acteurs de l’aide sociale aux élèves et familles en difficulté de façon à coordonner les différentes actions, y compris avec les secteurs périscolaires, culturels, sportifs... sont quelques pistes à explorer.
Cependant, l’éducation prioritaire doit résolument s’engager dans la voie de l’individualisation, en la distinguant bien de la culpabilisation et de la stigmatisation des élèves et des familles en difficulté. C’est en apportant des solutions fondées sur une étude individuelle des besoins que l’action est la plus efficace. En concentrant les moyens vers celles et ceux qui en ont réellement besoin, il est nettement plus facile de faire évoluer un dispositif, de coordonner toutes les actions et d’évaluer les résultats.
4. Redéfinir la carte des options pour offrir à tous les secteurs redécoupés les mêmes opportunités
Une des principales injustices de la carte scolaire actuelle est le déséquilibre dans l’offre de formation entre les établissements scolaires. Par le jeu des options, certains établissements (collèges mais surtout lycées) se lancent dans une chasse indigne aux « bons élèves », amplifiant ainsi volontairement les phénomènes de contournement. Pourquoi les langues orientales, les classes européennes (à titre d’exemple) ne pourraient-elles pas être proposées également aux élèves issus de milieux défavorisés ? La question de l’uniformisation de la carte des options pour tous les collèges est dès lors posée. Pour les lycées, la gestion des options doit être clarifiée et abordée là encore dans une plus grande transparence, en veillant aux équilibres entre établissements.
La question de la carte scolaire ne peut être réglée par des réponses lapidaires. Ce n’est pas un « problème » uniquement d’éducation nationale. Elle renvoie à des sujets beaucoup plus vastes comme l’aménagement du territoire, la politique de la ville, la politique sociale, le projet éducatif local (intégrant l’accueil de la petite enfance en amont et l’orientation en aval)... Tous les acteurs concernés par ces différents domaines doivent être mis à contribution et ce n’est que dans le cadre d’une vaste concertation, nationale et locale, que l’on pourra faire émerger les solutions consensuelles susceptibles de résoudre les graves difficultés qui raisonnent (résonnent ?) dans l’ensemble du système éducatif.
1 commentaire:
La carte scolaire était une réponse à un problème: "comment connaître les zones d'implantation des collèges?" Peut-être que cette réponse n'est plus adaptée mais il ne me semble pas judicieux de transformer une réponse en un nouveau problème: "pourquoi et comment réformer la carte scolaire?"
Plutôt que d'envisager des réformes ou des ouvertures légales dans ces contraintes devenues un peu "passoires", pourquoi ne pas ré-examiner le problème initial qui est maintenant un peu dépassé. La nouvelle question est d'ailleurs souvent clairement posée: comment faire pour que les populations scolaires soient homogènes et réaliser un minimum de mixité sociale dans les établissements scolaires.
En fait, la carte scolaire n'est que l'un des épi-phénomènes qui jalonnent l'Education Nationale et ne font que révéler la nécessité de réformer le système éducatif français dans sa globalité et non pas tel point particulier. Il semble que l'on préfère se perdre dans les méandres de réformes ponctuelles qui ne sont que des rustines.
Pourquoi le PS n'aurait pas un projet éducatif plus global? Pourquoi ne pas mettre en chantier un "projet d'éducation européenne"?
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